Le Testament de la Reine

Un chuchoteur a aporté dans les sombres chachettes de la grande Bibliothèque quelques pages froissées, remplies d'une écriture fine et ciselée aussitôt identifiée à celle de la Reine...


A Shurukan, Souverain du Ciel et du Feu, Gardien du Cristal, Maître des Dragons
De la part d'Alis El'Urièl, Souveraine de Sahr Sriuken, Maîtresse des Armées de la Forêt

Mon cher ami,

Voilà plus de quatre cents ans que nous regardons le monde dans la même direction. La Forêt est toujours bien protégée, un véritable havre de paix où se réfugient les Elfes Sylvains, mes cousins, et bien d'autres encore. Quelques hommes, même, nous ont rejoints, mais ils se sont à présent éteints, créatures éphémères destinées à une vie aussi brève qu'un nuage vagabond. Le Cristal est en sécurité, et son existence même est sortie de la mémoire du temps. Je ne pense rien t'apprendre en ces quelques termes, et j'aimerais que tu me pardonnes pour tourner autour du sujet qui m'inquiète en rappelant des choses établies et contrôlables, rassurantes. Tu me connais suffisamment pour savoir que je ne suis pas sujette aux messages inutiles et que je ne t'enverrai pas ce courrier si quelque chose d'important ne me préoccupait pas. A présent, vieil ami, je suis certaine que tu as compris, au-delà des mots, mon anxiété.
Je vais bientôt mourir. Tu sais quelle est ma race, et tu sais qu'elle peut savoir avec certitude le moment de sa mort. Sans en savoir les causes, ni l'instant précis. J'ai bien peut qu'à la lecture de ce courrier, je sois déjà en route pour le Sid.
Avec moi s'éteindra une vieille race, car j'en suis le dernier spécimen. Je n'ai pas de descendance, même impure. Par-delà les siècles, la puissance de ma race est toutefois restée sans égal, et son savoir perdure encore, à travers leurs édifices et leurs traités. On chuchote encore leur nom avec un respect mêlé de crainte.
Je souhaite transmettre sa mémoire. La mienne, puisque nous avons une mémoire collective. J'ai chanté tous les détails du long règne de ma race où tu sais. Tu n'auras aucune difficulté à les retrouver si tu en as besoin, je pense.
Je n'ai laissé dans la crypte que la mémoire de ma race, intacte, sans taches et fidèle à la vérité. Tu découvriras bien des secrets jusque-là cachés, hontes effacées qui à présent refont surface. Mon peuple me désapprouverai, certainement. Mais je ne peux pas supporter l'idée que tous ces souvenirs disparaissent avec moi.
Mais je ne parlerai pas de tout ça dans cette lettre, de peur quelle soit interceptée. Je veux confier mes souvenirs à toi et toi seul, et je n'ai pas le temps de réaliser les enchantements convenables. En revanche, je te livrerai mon testament. Rends-le public ou non, cela m'est égal, tu sauras l'utiliser avec adresse et je ne me fais aucun soucis de ce côté-là.
Je vais mourir. S'en suivra probablement une guerre sanglante, car Shahr Sriuken n'aura plus de dirigeant. Ce que je redoute le plus, c'est que les citadins s'emparent du pouvoir. Ce serait une catastrophe pour la Forêt. Tu riras probablement avec ces mots. Tu penseras que la Forêt est protégée. Certes. Mais que savons-nous des villes ? Que savons nous des hommes, des citadins, de leur pouvoir et de leur volonté ? Un pressentiment néfaste me pousse à affirmer que leurs villes se développent à grande vitesse, saccageant les forêts malgré nos efforts les plus acharnés. J'espère que les guerriers de Sahr Sriuken sauront se battre.
Je parle, je parle, et mon testament ne vient toujours pas. Il faut dire que l'idée d'une mort prochaine m'est étrangère. Je fais partie d'une des races Immortelles, ne peut pas mourir des dégâts du temps. Ma nature même rejette le concept de la mort, et cela m'est d'autant plus difficile pour composer ces mots. Je dis que je vais mourir, et je sais que j'ai raison, pourtant je ne parviens pas à croire à mes mots. C'est ainsi.
Je me rend compte que je n'ai pas grand-chose à dire, dans mon testament. Je pourrai léguer ma couronne, mais nul autre que ceux de mon sang peuvent la porter. Je ne peux, bien évidement, léguer le Cristal, sache toutefois que si je le pouvais, je te le donnerai sans hésiter. Que donner d'autre ? Mes connaissances ? Elles sont dans la crypte, et toutes celles qui pouvaient être dévoilées le sont déjà. Mes armes ? Elles m'accompagneront dans le Sid. Mes vêtements ? Ils brûleront avec moi. Mes trésors ? Ce sont ceux du Trésor Royal. Ils servent au peuple, ils sont à lui et non à moi. Comme tu peux le constater, il n'y a vraiment pas grand-chose à noter. Je veux juste leur révéler qui je suis. Ce que je suis. Peux-tu t'arranger pour qu'ils sachent ma race ? Certaines chose pourraient être expliquées. Des mystères, dévoilés.
Révèle-leur que je suis la dernière des Elfes Antiques. La dernière flamme, à présent simple chandelle prête à s'éteindre au premier coup de vent.

Puisse ton feu rester brûlant et tes ailes, puissantes.
Alis

Nul doute que la correspondant d'Urièl a bel et bien reçu son courrier. Il ne fait non plus aucun doute qu'il a tenu parole en renvoyant cette lettre à Elis Urièl, littéralement les Larmes d'Urièl...